TRIBUNE

« Pour parer au reflux de la démocratie, il est nécessaire de réhabiliter l’engagement partisan »

À contre-courant peut-être, je crois en la nécessité de renforcer les partis politiques et de réhabiliter l’engagement partisan. L’affaiblissement des partis va de concert avec l’affaissement du débat public, la baisse de la confiance dans nos institutions et la fragilisation de la démocratie. L’étiage ridicule du nombre d’adhérents comme la défiance démesurée envers les partis sont des signaux d’alerte. Il n’y a pas de démocratie sans partis politiques. 

Les causes de la désaffection française pour les partis sont nombreuses, à commencer par les excès de la IVe République. La conception du fondateur de la Ve n’a rien arrangé : « Le régime des partis, c’est la pagaille », disait le général de Gaulle.

En réalité, l’antipartisme est persistant et a même tendance à prospérer. En 2017, l’avènement d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, sans organisation établie derrière lui, en est une illustration. Cela n’a rien donné de bon en termes démocratiques. Dans ce schéma-là, personne autour du chef n’a de légitimité propre. Or, au sein de la majorité, au gouvernement comme au Parlement, si les différents acteurs n’ont pas l’once d’un rapport de force avec le chef de l’Etat, ils ne sont pas en capacité d’exercer dûment leurs fonctions.

Rien d’inéluctable. Encore faut-il prendre conscience du problème et réagir. Sur le terrain de la mécanique, il y a quelques évolutions à proposer. D’abord, mieux définir les partis. Notre Constitution les mentionne de manière élusive à son article 4 au même titre que les « groupements politiques » sans que l’on sache la distinction. La Constitution devrait également disposer, à l’instar de la Loi fondamentale allemande, que « leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques ». Sur le terrain du financement, il conviendrait de supprimer les niches fiscales – niches qui survalorisent l’opinion des plus aisés – et prendre en compte pour le calcul des financements publics les élections régionales et européennes en plus des législatives. On pourrait aussi diminuer les plafonds de dépenses des campagnes et mieux financer les partis.

Mais là n’est pas l’essentiel. Plus qu’à la grammaire, je crois à la syntaxe de la démocratie. Au-delà du cadre légal, c’est la culture, l’éducation, la manière de se considérer dans la cité, de construire la décision, de croiser le fer avec l’adversaire, de débattre, d’affronter des idées plutôt que des personnes qui importent. « La démocratie est d’abord un état d’esprit », selon les mots de Pierre Mendès-France.

Commençons par éviter quelques inepties, comme employer à tout bout de champ le mot « citoyen » en opposition à celui de « militant » ou d’« élu ». Il faut battre en brèche l’idée selon laquelle un citoyen engagé dans un parti ou élu serait de facto coupé du réel, qu’il serait un citoyen moins citoyen que les autres. En démocratie, il n’y a pas les vraies gens d’un côté et les politiques de l’autre. Nous sommes tous également concernés par les affaires de la cité. La démocratie appartient à tous et il revient à tous de la faire vivre. Il faut sortir du rapport consumériste à la politique et retrouver le goût de l’engagement collectif. À ceux qui se défient du « système », il faut dire : engagez-vous dans un parti ou formez le vôtre ; le système, c’est vous.

Enfin, il faut reconnaître que les partis eux-mêmes ont une part de responsabilité dans leur décrépitude. Admettons que les primaires ouvertes ont eu comme effet de bord de dévaluer la qualité d’adhérent. Participer au choix des candidats est en effet une raison de s’encarter, une raison parmi d’autres, comme celle de soutenir moralement ou financièrement une orientation politique, de participer au débat d’idées et à la construction d’un programme, ou candidater à des fonctions éligibles internes ou externes.

De la même manière le dogme de l’ouverture, qui est souvent le paravent de la recherche d’un effet médiatique, a aussi pour effet secondaire de dévaluer l’engagement partisan. Il ne faut pas s’interdire d’aller chercher des candidats en dehors du vivier des militants, mais le faire à la marge, avec parcimonie et moyennant leur adhésion. L’ouverture comme mantra dessert le collectif.

Troisième écueil, qui concerne particulièrement Europe Ecologie-Les Verts dont je suis membre, celui de se vouloir un mouvement qui colle avec la société civile, de croire que l’on peut faire cause commune et agréger ONG, associations, luttes locales… Les mobilisations sectorielles jouent leur rôle et ont parfois une grande efficacité, particulièrement d’un point de vue médiatique, mais n’ont pas vocation à construire une vision articulée du monde sur l’ensemble des sujets. Ne pas comprendre que l’objet de nos structures est distinct, c’est se cornériser dans une posture transactionnelle, c’est se condamner à n’être qu’un parti de plaidoyer et non un parti de gouvernement. Avec les associations, il faut entretenir le dialogue, pas la confusion.

J’appelle les écologistes qui veulent agir sur et dans le cadre institutionnel à prendre acte de la spécialisation des organisations, à rompre avec notre mouvementisme historique et à assumer pleinement la forme partisane de notre organisation.

Pour parer au reflux de la démocratie, il est nécessaire de réhabiliter l’engagement partisan. Face à l’effondrement de la biodiversité, face au changement climatique, face à l’accroissement des inégalités, face à l’extrême droite qui s’avance aux portes du pouvoir, citoyens, il est l’heure de prendre parti !

Jérémie Iordanoff