TRIBUNE

« Nous le savons depuis trop longtemps : notre Constitution penche imprudemment du côté de l’exécutif »

La centième utilisation de l’article 49.3 de la Constitution a précipité la France dans une crise politique profonde, si ce n’est dans une crise de régime. L’emploi de ce dispositif d’un autre âge, qui brusque la représentation nationale et traduit une forme de mépris à l’encontre du peuple français, est toujours perçu comme un abus de pouvoir de l’exécutif et contribue à faire douter nos concitoyens de la capacité d’action effective de leurs représentants. Ce qui le rend aujourd’hui particulièrement insupportable, c’est son usage par un exécutif affaibli.

Emmanuel Macron, réélu en 2022 contre Marine Le Pen, a été immédiatement privé d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, et le gouvernement qu’il a nommé n’a même pas été en mesure de poser la question de confiance. Pire, le chef de l’Etat se pose en chef d’une majorité relative et n’endosse pas le costume du garant des institutions et du rassembleur des Français. Souffrant d’une image aujourd’hui terriblement abîmée dans l’opinion, il affaiblit en réalité la fonction présidentielle et met en péril tout l’édifice institutionnel.

Nul ne peut dire avec certitude si le point de bascule est d’ores et déjà atteint. La situation actuelle place en revanche dans une lumière crue ce que nous savons depuis trop longtemps : notre Constitution penche imprudemment du côté de l’exécutif. Aussi rappelons-nous cette doctrine édictée par Montesquieu dans De l’esprit des lois paru en 1748 : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » C’est dans cet esprit qu’il faut opérer un certain nombre de rééquilibrages au sein de nos institutions.

Tout d’abord en faveur du Parlement. Outre l’abrogation de l’article 49.3 de la Constitution, je pense à l’instauration de la proportionnelle pour l’élection des députés. En effet, le scrutin majoritaire à deux tours, sur 577 circonscriptions, crée une immense distorsion entre les voix exprimées et les sièges obtenus. Ce mode de scrutin aboutit à la surreprésentation d’un petit nombre de partis et à l’effacement d’un grand nombre de couleurs politiques. Ses effets indésirables sont connus : il contraint l’électeur au « vote utile » au détriment du « vote de conviction » ; il produit de l’abstention et génère de la frustration. A l’inverse, le scrutin proportionnel intégral est le mieux à même de favoriser la délibération transpartisane, de garantir la juste représentation de toutes les sensibilités et d’obtenir, in fine, la parité de genre.

Il me paraît, par ailleurs, nécessaire d’assurer une respiration entre les deux pouvoirs élus au suffrage universel. Un constat s’impose : en faisant concorder le mandat présidentiel et le mandat législatif, le quinquennat a modifié le degré d’implication du président dans la vie politique du pays, en le conduisant à assurer de facto le rôle de chef de la majorité. Pour éviter une telle situation, on entend parfois des propositions de réformes telles que le retour au septennat ou le mandat non renouvelable. Il est douteux qu’elles aient les effets escomptés.

Il existe pourtant une réforme plus simple et plus sûre : faire en sorte que les élections législatives et l’élection présidentielle ne concordent plus dans le temps ; cela peut passer par une modification du calendrier électoral couplée à une limitation du droit de dissolution, ou bien par la réduction de la durée du mandat des députés. Cela aurait le mérite de permettre à l’Assemblée nationale d’avoir une légitimité déconnectée de l’élection présidentielle et plus en phase avec le rythme politique actuel.

Un autre chantier concerne le pouvoir judiciaire, si important en démocratie. Afin de renforcer l’autorité et la légitimité de ce pouvoir, il paraît nécessaire d’entreprendre – enfin – une réforme simple, retardée depuis trop d’années pour de mauvaises raisons, qui est celle de l’indépendance du parquet : les magistrats du parquet, qui ont l’immense devoir d’exercer l’action publique et de requérir au nom de la société, ne doivent plus être placés sous l’autorité du garde des sceaux ; leur nomination doit désormais s’opérer sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, angle mort des constituants de 1958, la question de l’environnement et de la finitude de la planète doit être intégrée dans la mécanique de nos institutions, bien au-delà de la seule Charte de l’environnement. Il est temps d’inscrire le principe de non-régression en matière environnementale dans notre Constitution et de créer un Défenseur de l’environnement sur le modèle du Défenseur des droits. Il conviendrait également de renforcer le processus législatif par un Conseil du temps long dont le rôle serait de faire valoir les intérêts des générations à venir.

A l’heure où nombre de nos concitoyens se détournent des urnes, où peu s’engagent pour la chose publique, où certains vont même jusqu’à douter de l’utilité de la forme démocratique de notre régime politique, si nous voulons éviter le choc autoritaire qui s’annonce à bas bruit, il nous faut organiser au plus tôt un choc démocratique.

Jérémie Iordanoff