DISCOURS

04 avril 2024

Rénover l'article 49 de la Constitution

Madame la présidente, 
Monsieur le Ministre, 
Monsieur le Président de la commission des lois,
Chers collègues,

La démocratie est fragile. Il ne faut pas croire qu’elle est définitivement acquise. Notre histoire nous l’enseigne. Et pour la première fois, la démocratie recule à l’échelle mondiale. En France-même, elle est attaquée. La hausse significative du taux d’abstention est un signal d’alarme. La défiance est là.

Le texte que nous vous proposons, à sa modeste mesure, peut constituer une partie de la réponse.

Il y a aujourd’hui un consensus sur le fait d’un déséquilibre problématique entre un pouvoir législatif notoirement faible et un pouvoir exécutif tout puissant. Ce constat appelle un rééquilibrage des pouvoirs, une réhabilitation du Parlement.

Plus généralement, il conviendrait de repenser la place des citoyens dans la fabrication de la loi, celle des partis politiques dans la structuration des idées, il conviendrait d’élire les députés à la proportionnelle, de déconnecter la présidentielle des législatives. Et tant d’autres réformes encore. Vous le savez, les écologistes sont disponibles pour y travailler.

Néanmoins, dans le cadre de la journée qui nous est réservée, nous nous arrêterons sur un objet concis : l’article 49 de la Constitution. Un article qui touche le cœur de l’équilibre des pouvoirs.

La Constitution de la Vème République établit un régime parlementaire. La règle cardinale d’un tel régime est que le Gouvernement ne peut gouverner que s’il a la confiance préalable du Parlement. C’est le sens de l’article 49 alinéa 1er.

Pourtant, alors que la lettre, comme l’esprit, de la Constitution tendent à faire de l’engagement une obligation, dans la pratique, quelques Premier ministres ont, depuis le gouvernement Pompidou III, en 66, outrepassé la règle. Dans cette législature, pour la première fois depuis le gouvernement Bérégovoy en 92, deux premiers ministres se sont affranchis de la confiance de l’assemblée.

Voter la loi et contrôler l’action du Gouvernement, c’est pourtant l’essence même de notre mandat : il en va ainsi dans l’agencement des pouvoirs depuis la Révolution. Dans la Constitution de 58, cela est rappelé à l’article 24. Le contrôle de l’action du gouvernement, s’il a un sens, passe en premier lieu par le vote de confiance, qui donne pleine légitimité au gouvernement pour dérouler un programme.

En réalité, on assiste depuis l’élection du Président de la république au suffrage universel direct adopté en 1962 à une dérive, et à une confusion de légitimité entre le Chef de l’Etat et la représentation nationale. Mais la légitimité du gouvernement procède bel et bien des députés, dont la fonction est, selon le mot célèbre de Barnave dans son discours à la Constituante le 15 juillet 1791, de “vouloir pour la nation”. 

Faut-il le rappeler, chers collègues, l’exercice de la souveraineté est l’apanage des représentants de la nation et non du président de la République. Il faut remettre les choses à leur place : le président, irresponsable politiquement, est à la tête de l’Etat, il représente l’Etat à l’extérieur de nos frontières, mais il ne participe pas à l’exercice de la souveraineté. Son irresponsabilité a pour corollaire la responsabilité du Gouvernement.

C’est pourquoi nous proposons de réaffirmer la nature parlementaire de notre régime en imposant à tout nouveau Gouvernement un vote de confiance, conformément à ce qui avait été voulu en 1958. C’est l’assurance qu’un Gouvernement tienne compte des équilibres politiques, la garantie de disposer d’une majorité, fut-elle de coalition. La garantie, aussi, de pouvoir dérouler un programme sans recourir à des outils de contournement du débat, je pense singulièrement à la procédure de législation forcée autorisée par l’article 49 alinéa 3.

Le tristement fameux 49.3 s’est invité dans le débat public, à la machine à café, dans les repas de famille. Le 49.3 est même devenu idiomatique. Dispositif visant à lier le sort du Gouvernement à celui d’un texte législatif, il permet de faire adopter, sans vote, une loi par l’Assemblée nationale. C’est un artifice jamais vu dans notre histoire républicaine qui ne connaissait, pour modalité d’adoption de la loi, que le vote des représentants de la Nation.

Nous proposons de supprimer ce dispositif anachronique, rendu insupportable par la pratique abusive et systématique dont il fait l’objet sous XVIe législature.

Qu’il soit social ou budgétaire, le 49.3 est indéfendable. Rendez-vous compte, depuis deux ans les budgets sont adoptés sans vote. Parfois même sans débat.

Et pourtant, voter le budget, c’est la raison-même de l’apparition des Parlements, depuis la Magna Carta de 1215 en Angleterre. En France, l’article 14 de la Déclaration de 1789 rappelle la nécessité du consentement à l’impôt.

S’il ne devait rester qu’une seule prérogative à un Parlement, c’est bien le vote du budget.

Sur ce sujet sensible, j’entends les complaintes de ceux qui disent que la France doit bien se doter d’un budget y compris dans l’hypothèse d’une majorité relative. A ceux-là je dis de voter l’article 1 sur l’engagement de la responsabilité du Premier ministre, et je rappelle que les articles 47 et 47-1 de la Constitution permettent, tant pour les lois de finance que pour les lois de financement de la sécurité sociale, d’édicter les budgets par ordonnance en cas de dépassement de certains délais. Il n’y a, dans notre Constitution, aucun risque de shut down à l’américaine. C’est là une fake news, en bon français.

Ce n’est bien sûr pas la panacée, mais à tout prendre, je préfère encore un budget pris par ordonnance après 70 jours de débats qu’un budget adopté sans vote et sans débat.

Il y a ensuite les objections de ceux qui pensent que ce dispositif est un mal nécessaire pour gouverner sous la Vème République. Mais Lionel Jospin, Premier ministre de 1997 à 2002, n’y a jamais eu recours, sans que personne ne puisse affirmer qu’il a été empêché de gouverner dans le cadre de “la majorité plurielle”. François Fillon a lui aussi gouverné, de 2007 à 2012 sans avoir recours au 49.3. 

J’entends enfin la petite musique de la stabilité gouvernementale et de la référence ad nauseam à la IVe République. Sous la Ve République, c’est le pouvoir de dissolution conféré au Président de la République par l’article 12 de la Constitution, un pouvoir propre, c’est-à-dire dispensé de contreseing, un pouvoir inconditionné, qui lui permet de ne pas se laisser déborder par une assemblée trop rétive. Ce n’est pas le 49.3 qui assure la stabilité des gouvernements.

Au-delà des craintes techniques, que je crois infondées, il faut bien comprendre que l’usage du 49.3, qu’il soit social ou budgétaire, a un coût politique pour ceux qui le déclenchent. Nous pourrions nous en accommoder. Mais il a surtout un coût institutionnel exorbitant. Il abîme profondément l’image de nos institutions. Il questionne l’utilité du Parlement.

Par ailleurs, à travers les approximations et les caricatures que l’on entend ça et là, j’ai conscience que ce qui est en jeu, c’est aussi notre culture politique. Sortir des oppositions stériles, envisager l’action en mode coalition, c’est ça qui dérange.

En 2022, les électeurs avaient pourtant envoyé un message clair lors des législatives. Le président n’avait pas de majorité sur un programme. Il fallait alors tout remettre à plat. C’est là la grande faute du second quinquennat d’Emmanuel Macron, ne pas accepter le verdict des législatives. Il n’a pas écouté ce qu’avaient dit les français.  

Je terminerai par le clivage qui s’est fait jour dans les débats en commission. La majorité n’a pas réellement ferraillé sur le fond, sentant bien qu’il y a un décalage entre la promesse des marcheurs de 2017, celle de renouveler la vie démocratique française, et la pratique quelque peu brutale du marcheur en Chef.

Le RN a adopté une posture toute autre, assumant un césarisme décomplexé. Nos oreilles ont entendu que la légitimité du Premier ministre procéderait du Chef de l’Etat et non de l’Assemblée nationale. C’est là la marque d’un parti qui a pleinement intériorisé la dévaluation du Parlement. Préférant la verticalité et la solitude d’un pouvoir exécutif sans contre-pouvoirs.

Chers collègues. À l’heure où je vous parle, le monde se divise en deux catégories. Il y a d’un côté ceux qui préparent une France autoritaire et illibéral et, de l’autre, ceux qui défendent un renouveau démocratique et l’Etat de droit. 

Il nous revient de dessiner le monde qui vient.

Je vous remercie.

Jérémie Iordanoff