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9 décembre 2025

120e anniversaire de la loi de 1905


La laïcité à la française, consacrée par la loi du 9 décembre 1905 à aujourd’hui 120 ans. L’occasion de réaffirmer toute la pertinence et la modernité de ce texte fondateur.

La loi de 1905 instaure comme principe fondamental que la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes. En ne reconnaissant ni ne salariant aucun culte, la neutralité de l’État garantie un égal traitement de toutes les croyances en même temps qu’elle garantit le droit de ne pas croire.

Ce modèle figure parmi les principes les plus précieux de la République : en séparant l’État et ses institutions des autorités religieuses, il préserve son indépendance vis-à-vis de tout pouvoir spirituel.

Il convient de rappeler que la laïcité est une garantie de la neutralité des administrations publiques et non la neutralité des citoyens. À l’échelle de l’individu c’est la liberté de conscience qui est consacrée, la liberté de croire ou de ne pas croire.

La laïcité n’est pas à proprement parler une valeur, c’est un principe d’organisation de l’Etat. Elle définit un cadre Républicain pour l’épanouissement de la liberté de conscience et pour  que nul ne soit favorisé ou discriminé en raison de ses croyances.

Si la société française s’est largement sécularisée, il est vrai que le fait religieux se développe à nouveau ces dernières années. Et la laïcité est parfois brandie en regard, comme si elle était une forme d’opposition à la religion.

Non seulement c’est méconnaître le principe de laïcité, mais comme il est souvent invoqué de manière di-symétrique, il est perçu comme un principe discriminant, tout le contraire de ce qu’il est.

Bien évidemment il faut lutter contre le fondamentalisme, contre les fondamentalismes, qui sont aussi une réalité de notre temps, mais il faut le faire avec des politiques publiques adaptées et efficaces. Il faut réexpliquer ce qu’est la laïcité et continuer à garantir la neutralité des administrations publiques, mais ne pas faire croire que c’est cela seul fera reculer l’obscurantisme. Il faut garantir la liberté de conscience. Et rien ne remplacera l’éducation, la culture, le vivre ensemble, l’égalité des chances, la promesse républicaine.

En cela, la loi de 1905 constitue un cadre universaliste posé pour l’ensemble des religions, et pour l’ensemble des citoyens sans distinction. 

Dans un monde où les crispations identitaires refont surface, ce cadre de tolérance demeure indispensable. C’est un acquis historique de la gauche et nous devons en être fiers.

Réaffirmer l’esprit de 1905, c’est faire le choix de la République, de son unité et de sa vocation universaliste.

15 octobre 2025

Gouvernement Lecornu II : plus personne n’y comprend rien.

Nous ressentons une grande lassitude. L’impression d’un grand n’importe quoi persistant. Plus personne n’y comprend rien. Alors nous voyons poindre une forme de laisser-aller, mais dans un monde hostile et alors que l’extrême droite menace, le fatalisme n’est pas une option.

En cette période troublée, revenons aux fondamentaux. Dans tout régime parlementaire, la légitimité du gouvernement procède de la représentation nationale, pas du président de la République. Or, le seul qui soutienne sincèrement le gouvernement Lecornu II, c’est Emmanuel Macron. Au passage, le chef de l’Etat est incontestablement sorti de son rôle en manoeuvrant pour imposer un périmètre gouvernemental artificiel dans lequel il reste au centre. Il est même allé jusqu’à menacer les députés d’une dissolution si nous étions en désaccord avec son bon vouloir. Il y a là une perversion d’un outil institutionnel.

C’est vrai, personne n’a de majorité absolue, les compromis sont donc nécessaires. J’ajoute que, défenseur de la proportionnelle, je suis favorable aux coalitions post-électorales. Mais il y a deux conditions pour que cela fonctionne. La première, c’est que le président de la République accepte le résultat des urnes. En l’espèce, il est le seul à avoir clairement perdu les législatives de 2024. Il doit passer la main en nommant un Premier ministre issu d’une autre coalition préélectorale et consentir à une forme de cohabitation. La seconde condition est qu’il y ait un accord en bonne et due forme entre les groupes politiques qui soutiennent le gouvernement. Sans programme négocié, fût-il minimum, le Premier ministre est un gouvernail sans direction.

La réalité, c’est que nous avons depuis 2024 une série de gouvernements éphémères et à la dérive. Lecornu II s’inscrit dans cette continuité, Emmanuel Macron garde la main et il n’y a toujours pas de programme.

Je mesure toute la gravité de voter une motion de censure. Pour autant, nous devons prendre garde à ne pas nous accoutumer à une démocratie parlementaire dégradée, dans laquelle le gouvernement se soustrait au vote de confiance et ne tient plus sa légitimité du Parlement, mais de Jupiter.

29 janvier 2025

Nouveau podcast : la séance est ouverte

Nouveau podcast : la séance est ouverte

Jérémie Iordanoff inaugure son podcast politique intitulé « La séance est ouverte », en explorant la question cruciale du vote de confiance dans un premier épisode au coeur de l’actualité.

« La confiance ne se présume pas, à fortiori après plusieurs défaites électorales et la censure d’un premier ministre. Dans cette situation, aucun gouvernement ne pourra tenir sans s’assurer au préalable de la confiance de l’Assemblée nationale. »

Les épisodes seront diffusés régulièrement et aborderont d’autres thématiques majeures du fonctionnement démocratique, comme le vote à la proportionnelle.


24 mai 2024

Menace sur l’indépendance de l’audiovisuel public : le Gouvernement doit retirer son projet de fusion​

Menace sur l’indépendance de l’audiovisuel public : le Gouvernement doit retirer son projet de fusion

L’Assemblée nationale s’apprête à examiner le projet de fusion de l’audiovisuel public, une marotte du Président Macron depuis 2017. L’idée est d’absorber les chaînes publiques de télévision et de radio au sein d’une même entreprise sous la direction d’un seul.

Aucune raison n’est avancée pour justifier cette réforme, si ce n’est le mantra trop facile selon lequel l’union fait la force – une croyance erronée inapplicable en matière culturelle, l’information n’étant pas une marchandise.

J’étais mercredi soir sur le plateau de LCP pour soutenir la grève en cours des syndicats de l’audiovisuel public, légitimement vent debout contre cette réforme délétère.

Le droit à l’information est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et la condition primordiale de l’épanouissement de chacun. A l’heure où prospèrent les fausses informations et où prolifèrent les discours d’extrême droite dans les médias de masse, nous avons besoin d’un audiovisuel public indépendant, capable d’offrir à chacun une information de qualité et des programmes culturels diversifiés.

Or, le gouvernement ne cesse d’affaiblir ce trésor national. On se souvient notamment de la suppression de la contribution à l’audiovisuel public, premier acte du second quinquennat d’Emmanuel Macron. La disparition de la redevance est une faute politique majeure qui a de fortes répercussions sur  le financement de notre service public, ce dont l’extreme droite se réjouit puisqu’elle souhaite sa privatisation. Il n’est pas étonnant que le RN ait approuvé le projet de fusion en commission…

Ce n’est donc pas d’un changement de structure dont nous avons besoin mais d’une profonde refonte du mode de financement. Pour ma part, je plaide pour un impôt progressif dédié à l’audiovisuel public. Mais, pour l’heure, j’appelle le Gouvernement à retirer ce projet dangereux pour notre démocratie.

Jérémie Iordanoff

10 avril 2024

Intervention en séance : réviser l’article 49 de la Constitution

DISCOURS

04 avril 2024

Rénover l'article 49 de la Constitution

Madame la présidente, 
Monsieur le Ministre, 
Monsieur le Président de la commission des lois,
Chers collègues,

La démocratie est fragile. Il ne faut pas croire qu’elle est définitivement acquise. Notre histoire nous l’enseigne. Et pour la première fois, la démocratie recule à l’échelle mondiale. En France-même, elle est attaquée. La hausse significative du taux d’abstention est un signal d’alarme. La défiance est là.

Le texte que nous vous proposons, à sa modeste mesure, peut constituer une partie de la réponse.

Il y a aujourd’hui un consensus sur le fait d’un déséquilibre problématique entre un pouvoir législatif notoirement faible et un pouvoir exécutif tout puissant. Ce constat appelle un rééquilibrage des pouvoirs, une réhabilitation du Parlement.

Plus généralement, il conviendrait de repenser la place des citoyens dans la fabrication de la loi, celle des partis politiques dans la structuration des idées, il conviendrait d’élire les députés à la proportionnelle, de déconnecter la présidentielle des législatives. Et tant d’autres réformes encore. Vous le savez, les écologistes sont disponibles pour y travailler.

Néanmoins, dans le cadre de la journée qui nous est réservée, nous nous arrêterons sur un objet concis : l’article 49 de la Constitution. Un article qui touche le cœur de l’équilibre des pouvoirs.

La Constitution de la Vème République établit un régime parlementaire. La règle cardinale d’un tel régime est que le Gouvernement ne peut gouverner que s’il a la confiance préalable du Parlement. C’est le sens de l’article 49 alinéa 1er.

Pourtant, alors que la lettre, comme l’esprit, de la Constitution tendent à faire de l’engagement une obligation, dans la pratique, quelques Premier ministres ont, depuis le gouvernement Pompidou III, en 66, outrepassé la règle. Dans cette législature, pour la première fois depuis le gouvernement Bérégovoy en 92, deux premiers ministres se sont affranchis de la confiance de l’assemblée.

Voter la loi et contrôler l’action du Gouvernement, c’est pourtant l’essence même de notre mandat : il en va ainsi dans l’agencement des pouvoirs depuis la Révolution. Dans la Constitution de 58, cela est rappelé à l’article 24. Le contrôle de l’action du gouvernement, s’il a un sens, passe en premier lieu par le vote de confiance, qui donne pleine légitimité au gouvernement pour dérouler un programme.

En réalité, on assiste depuis l’élection du Président de la république au suffrage universel direct adopté en 1962 à une dérive, et à une confusion de légitimité entre le Chef de l’Etat et la représentation nationale. Mais la légitimité du gouvernement procède bel et bien des députés, dont la fonction est, selon le mot célèbre de Barnave dans son discours à la Constituante le 15 juillet 1791, de “vouloir pour la nation”. 

Faut-il le rappeler, chers collègues, l’exercice de la souveraineté est l’apanage des représentants de la nation et non du président de la République. Il faut remettre les choses à leur place : le président, irresponsable politiquement, est à la tête de l’Etat, il représente l’Etat à l’extérieur de nos frontières, mais il ne participe pas à l’exercice de la souveraineté. Son irresponsabilité a pour corollaire la responsabilité du Gouvernement.

C’est pourquoi nous proposons de réaffirmer la nature parlementaire de notre régime en imposant à tout nouveau Gouvernement un vote de confiance, conformément à ce qui avait été voulu en 1958. C’est l’assurance qu’un Gouvernement tienne compte des équilibres politiques, la garantie de disposer d’une majorité, fut-elle de coalition. La garantie, aussi, de pouvoir dérouler un programme sans recourir à des outils de contournement du débat, je pense singulièrement à la procédure de législation forcée autorisée par l’article 49 alinéa 3.

Le tristement fameux 49.3 s’est invité dans le débat public, à la machine à café, dans les repas de famille. Le 49.3 est même devenu idiomatique. Dispositif visant à lier le sort du Gouvernement à celui d’un texte législatif, il permet de faire adopter, sans vote, une loi par l’Assemblée nationale. C’est un artifice jamais vu dans notre histoire républicaine qui ne connaissait, pour modalité d’adoption de la loi, que le vote des représentants de la Nation.

Nous proposons de supprimer ce dispositif anachronique, rendu insupportable par la pratique abusive et systématique dont il fait l’objet sous XVIe législature.

Qu’il soit social ou budgétaire, le 49.3 est indéfendable. Rendez-vous compte, depuis deux ans les budgets sont adoptés sans vote. Parfois même sans débat.

Et pourtant, voter le budget, c’est la raison-même de l’apparition des Parlements, depuis la Magna Carta de 1215 en Angleterre. En France, l’article 14 de la Déclaration de 1789 rappelle la nécessité du consentement à l’impôt.

S’il ne devait rester qu’une seule prérogative à un Parlement, c’est bien le vote du budget.

Sur ce sujet sensible, j’entends les complaintes de ceux qui disent que la France doit bien se doter d’un budget y compris dans l’hypothèse d’une majorité relative. A ceux-là je dis de voter l’article 1 sur l’engagement de la responsabilité du Premier ministre, et je rappelle que les articles 47 et 47-1 de la Constitution permettent, tant pour les lois de finance que pour les lois de financement de la sécurité sociale, d’édicter les budgets par ordonnance en cas de dépassement de certains délais. Il n’y a, dans notre Constitution, aucun risque de shut down à l’américaine. C’est là une fake news, en bon français.

Ce n’est bien sûr pas la panacée, mais à tout prendre, je préfère encore un budget pris par ordonnance après 70 jours de débats qu’un budget adopté sans vote et sans débat.

Il y a ensuite les objections de ceux qui pensent que ce dispositif est un mal nécessaire pour gouverner sous la Vème République. Mais Lionel Jospin, Premier ministre de 1997 à 2002, n’y a jamais eu recours, sans que personne ne puisse affirmer qu’il a été empêché de gouverner dans le cadre de “la majorité plurielle”. François Fillon a lui aussi gouverné, de 2007 à 2012 sans avoir recours au 49.3. 

J’entends enfin la petite musique de la stabilité gouvernementale et de la référence ad nauseam à la IVe République. Sous la Ve République, c’est le pouvoir de dissolution conféré au Président de la République par l’article 12 de la Constitution, un pouvoir propre, c’est-à-dire dispensé de contreseing, un pouvoir inconditionné, qui lui permet de ne pas se laisser déborder par une assemblée trop rétive. Ce n’est pas le 49.3 qui assure la stabilité des gouvernements.

Au-delà des craintes techniques, que je crois infondées, il faut bien comprendre que l’usage du 49.3, qu’il soit social ou budgétaire, a un coût politique pour ceux qui le déclenchent. Nous pourrions nous en accommoder. Mais il a surtout un coût institutionnel exorbitant. Il abîme profondément l’image de nos institutions. Il questionne l’utilité du Parlement.

Par ailleurs, à travers les approximations et les caricatures que l’on entend ça et là, j’ai conscience que ce qui est en jeu, c’est aussi notre culture politique. Sortir des oppositions stériles, envisager l’action en mode coalition, c’est ça qui dérange.

En 2022, les électeurs avaient pourtant envoyé un message clair lors des législatives. Le président n’avait pas de majorité sur un programme. Il fallait alors tout remettre à plat. C’est là la grande faute du second quinquennat d’Emmanuel Macron, ne pas accepter le verdict des législatives. Il n’a pas écouté ce qu’avaient dit les français.  

Je terminerai par le clivage qui s’est fait jour dans les débats en commission. La majorité n’a pas réellement ferraillé sur le fond, sentant bien qu’il y a un décalage entre la promesse des marcheurs de 2017, celle de renouveler la vie démocratique française, et la pratique quelque peu brutale du marcheur en Chef.

Le RN a adopté une posture toute autre, assumant un césarisme décomplexé. Nos oreilles ont entendu que la légitimité du Premier ministre procéderait du Chef de l’Etat et non de l’Assemblée nationale. C’est là la marque d’un parti qui a pleinement intériorisé la dévaluation du Parlement. Préférant la verticalité et la solitude d’un pouvoir exécutif sans contre-pouvoirs.

Chers collègues. À l’heure où je vous parle, le monde se divise en deux catégories. Il y a d’un côté ceux qui préparent une France autoritaire et illibéral et, de l’autre, ceux qui défendent un renouveau démocratique et l’Etat de droit. 

Il nous revient de dessiner le monde qui vient.

Je vous remercie.

Jérémie Iordanoff

1 février 2024

« Se promener dans la nature n’est pas un crime ! »

TRIBUNE

« Se promener dans la nature n’est pas un crime ! »

Simples promeneurs, randonneurs, écoliers, cavaliers, grimpeurs, alpinistes, mycologues, cyclistes, pratiquants de trail, pisteurs, photographes… tous les usagers de la nature le savent : c’est par la pratique de la nature que nous apprenons à la connaître et que naît une volonté commune de préserver notre environnement. C’est une évidence qui mérite d’être rappelée : pour protéger la nature, il faut la connaître. Et pour la connaître, il faut pouvoir y accéder.

Dans la pratique, une certaine tolérance d’accès aux espaces de nature existe de longue date, qu’elle soit tacite ou formalisée à travers des conventions entre acteurs publics et propriétaires privés. Ce compromis fragile est aujourd’hui remis en cause. En effet, depuis la loi du 2 février 2023 « visant à limiter l’engrillagement des espaces naturels et à protéger la propriété privée », le simple fait de s’aventurer ou de traverser une propriété rurale ou forestière, sans même l’endommager, constitue une contravention de quatrième classe, sanctionnée par une amende forfaitaire de 135 euros.

Fin août 2023, un propriétaire privé s’est prévalu de cette toute nouvelle législation pour installer des panneaux « Propriété privée – Défense d’entrer » sur des sentiers dûment balisés et dissuader ainsi les usagers de la nature de s’aventurer plus loin. Interdiction leur est faite d’accéder à 750 hectares d’espaces naturels, au sein de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse, entre la dent de Crolles et le mont Granier (région Auvergne-Rhône-Alpes). Cet espace est désormais réservé, notamment à l’usage de chasses privées lucratives.

C’est un cas alarmant de restriction d’accès à la nature d’autant plus inquiétant que 75 % de nos forêts sont privées, selon les chiffres du Centre national de la propriété forestière. La grande majorité de nos espaces naturels pourraient ainsi devenir inaccessibles. Se promener dans la nature n’est pourtant pas un crime. 

On comprend mal l’impérieuse nécessité de venir, en 2023, sanctionner des usagers de la nature, à l’heure où il faudrait changer de fond en comble notre rapport à elle. N’est-ce pas procéder à contretemps, dans un contexte où il faudrait plutôt garantir un accès à la nature pour apprendre à la connaître et la protéger ?

Sans accès à la nature, Rousseau n’aurait sans doute pas pu écrire les Rêveries du promeneur solitaire, et Le Voyageur contemplant une mer de nuages serait la représentation picturale d’une infraction pénale. Sans accès à la nature, les naturalistes n’auraient jamais pu cartographier le vivant, découvrir sa richesse, sa complexité, mesurer et alerter sur les risques que nous faisons peser sur lui.

Si la France est depuis longtemps attachée à la liberté d’aller et venir et considère l’environnement comme le patrimoine commun des êtres humains, elle est également protectrice de la propriété privée. Or, sans la remettre en cause, nous pourrions nous inspirer des modèles européens pour la rendre compatible avec le libre accès à la nature.

De nombreux pays (Suisse, Islande, Norvège, Suède, Finlande, Estonie et, dans une moindre mesure, Danemark) consacrent le droit de tout un chacun d’accéder à la nature. Ce droit ne s’exerce pas sans limite : s’il est permis chez nos voisins européens d’accéder, voire de séjourner ou de cueillir des baies dans des espaces naturels privés, c’est toujours dans le strict respect de la vie privée et de la préservation de l’environnement.

Il n’est évidemment jamais question de traverser un jardin ou de franchir les portes d’une habitation. Seules les vastes étendues naturelles sont concernées. Un autre monde, en l’occurrence un autre rapport aux espaces naturels, est possible : nos voisins scandinaves en apportent la preuve. Le modèle français doit pouvoir évoluer.

Nous appelons dans l’immédiat à dépénaliser l’accès à la nature. Nous souhaitons également ouvrir un débat plus large sur l’opportunité de faire évoluer notre législation pour garantir à tous, dans une perspective démocratique, le libre accès aux espaces naturels.

Jérémie Iordanoff, Lisa Belluco

1 février 2024

Tribune : Engagement partisan

TRIBUNE

« Pour parer au reflux de la démocratie, il est nécessaire de réhabiliter l’engagement partisan »

À contre-courant peut-être, je crois en la nécessité de renforcer les partis politiques et de réhabiliter l’engagement partisan. L’affaiblissement des partis va de concert avec l’affaissement du débat public, la baisse de la confiance dans nos institutions et la fragilisation de la démocratie. L’étiage ridicule du nombre d’adhérents comme la défiance démesurée envers les partis sont des signaux d’alerte. Il n’y a pas de démocratie sans partis politiques. 

Les causes de la désaffection française pour les partis sont nombreuses, à commencer par les excès de la IVe République. La conception du fondateur de la Ve n’a rien arrangé : « Le régime des partis, c’est la pagaille », disait le général de Gaulle.

En réalité, l’antipartisme est persistant et a même tendance à prospérer. En 2017, l’avènement d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, sans organisation établie derrière lui, en est une illustration. Cela n’a rien donné de bon en termes démocratiques. Dans ce schéma-là, personne autour du chef n’a de légitimité propre. Or, au sein de la majorité, au gouvernement comme au Parlement, si les différents acteurs n’ont pas l’once d’un rapport de force avec le chef de l’Etat, ils ne sont pas en capacité d’exercer dûment leurs fonctions.

Rien d’inéluctable. Encore faut-il prendre conscience du problème et réagir. Sur le terrain de la mécanique, il y a quelques évolutions à proposer. D’abord, mieux définir les partis. Notre Constitution les mentionne de manière élusive à son article 4 au même titre que les « groupements politiques » sans que l’on sache la distinction. La Constitution devrait également disposer, à l’instar de la Loi fondamentale allemande, que « leur organisation interne doit être conforme aux principes démocratiques ». Sur le terrain du financement, il conviendrait de supprimer les niches fiscales – niches qui survalorisent l’opinion des plus aisés – et prendre en compte pour le calcul des financements publics les élections régionales et européennes en plus des législatives. On pourrait aussi diminuer les plafonds de dépenses des campagnes et mieux financer les partis.

Mais là n’est pas l’essentiel. Plus qu’à la grammaire, je crois à la syntaxe de la démocratie. Au-delà du cadre légal, c’est la culture, l’éducation, la manière de se considérer dans la cité, de construire la décision, de croiser le fer avec l’adversaire, de débattre, d’affronter des idées plutôt que des personnes qui importent. « La démocratie est d’abord un état d’esprit », selon les mots de Pierre Mendès-France.

Commençons par éviter quelques inepties, comme employer à tout bout de champ le mot « citoyen » en opposition à celui de « militant » ou d’« élu ». Il faut battre en brèche l’idée selon laquelle un citoyen engagé dans un parti ou élu serait de facto coupé du réel, qu’il serait un citoyen moins citoyen que les autres. En démocratie, il n’y a pas les vraies gens d’un côté et les politiques de l’autre. Nous sommes tous également concernés par les affaires de la cité. La démocratie appartient à tous et il revient à tous de la faire vivre. Il faut sortir du rapport consumériste à la politique et retrouver le goût de l’engagement collectif. À ceux qui se défient du « système », il faut dire : engagez-vous dans un parti ou formez le vôtre ; le système, c’est vous.

Enfin, il faut reconnaître que les partis eux-mêmes ont une part de responsabilité dans leur décrépitude. Admettons que les primaires ouvertes ont eu comme effet de bord de dévaluer la qualité d’adhérent. Participer au choix des candidats est en effet une raison de s’encarter, une raison parmi d’autres, comme celle de soutenir moralement ou financièrement une orientation politique, de participer au débat d’idées et à la construction d’un programme, ou candidater à des fonctions éligibles internes ou externes.

De la même manière le dogme de l’ouverture, qui est souvent le paravent de la recherche d’un effet médiatique, a aussi pour effet secondaire de dévaluer l’engagement partisan. Il ne faut pas s’interdire d’aller chercher des candidats en dehors du vivier des militants, mais le faire à la marge, avec parcimonie et moyennant leur adhésion. L’ouverture comme mantra dessert le collectif.

Troisième écueil, qui concerne particulièrement Europe Ecologie-Les Verts dont je suis membre, celui de se vouloir un mouvement qui colle avec la société civile, de croire que l’on peut faire cause commune et agréger ONG, associations, luttes locales… Les mobilisations sectorielles jouent leur rôle et ont parfois une grande efficacité, particulièrement d’un point de vue médiatique, mais n’ont pas vocation à construire une vision articulée du monde sur l’ensemble des sujets. Ne pas comprendre que l’objet de nos structures est distinct, c’est se cornériser dans une posture transactionnelle, c’est se condamner à n’être qu’un parti de plaidoyer et non un parti de gouvernement. Avec les associations, il faut entretenir le dialogue, pas la confusion.

J’appelle les écologistes qui veulent agir sur et dans le cadre institutionnel à prendre acte de la spécialisation des organisations, à rompre avec notre mouvementisme historique et à assumer pleinement la forme partisane de notre organisation.

Pour parer au reflux de la démocratie, il est nécessaire de réhabiliter l’engagement partisan. Face à l’effondrement de la biodiversité, face au changement climatique, face à l’accroissement des inégalités, face à l’extrême droite qui s’avance aux portes du pouvoir, citoyens, il est l’heure de prendre parti !

Jérémie Iordanoff

5 mai 2023

« Nous le savons depuis trop longtemps : notre Constitution penche imprudemment du côté de l’exécutif »

TRIBUNE

« Nous le savons depuis trop longtemps : notre Constitution penche imprudemment du côté de l’exécutif »

La centième utilisation de l’article 49.3 de la Constitution a précipité la France dans une crise politique profonde, si ce n’est dans une crise de régime. L’emploi de ce dispositif d’un autre âge, qui brusque la représentation nationale et traduit une forme de mépris à l’encontre du peuple français, est toujours perçu comme un abus de pouvoir de l’exécutif et contribue à faire douter nos concitoyens de la capacité d’action effective de leurs représentants. Ce qui le rend aujourd’hui particulièrement insupportable, c’est son usage par un exécutif affaibli.

Emmanuel Macron, réélu en 2022 contre Marine Le Pen, a été immédiatement privé d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, et le gouvernement qu’il a nommé n’a même pas été en mesure de poser la question de confiance. Pire, le chef de l’Etat se pose en chef d’une majorité relative et n’endosse pas le costume du garant des institutions et du rassembleur des Français. Souffrant d’une image aujourd’hui terriblement abîmée dans l’opinion, il affaiblit en réalité la fonction présidentielle et met en péril tout l’édifice institutionnel.

Nul ne peut dire avec certitude si le point de bascule est d’ores et déjà atteint. La situation actuelle place en revanche dans une lumière crue ce que nous savons depuis trop longtemps : notre Constitution penche imprudemment du côté de l’exécutif. Aussi rappelons-nous cette doctrine édictée par Montesquieu dans De l’esprit des lois paru en 1748 : « Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. » C’est dans cet esprit qu’il faut opérer un certain nombre de rééquilibrages au sein de nos institutions.

Tout d’abord en faveur du Parlement. Outre l’abrogation de l’article 49.3 de la Constitution, je pense à l’instauration de la proportionnelle pour l’élection des députés. En effet, le scrutin majoritaire à deux tours, sur 577 circonscriptions, crée une immense distorsion entre les voix exprimées et les sièges obtenus. Ce mode de scrutin aboutit à la surreprésentation d’un petit nombre de partis et à l’effacement d’un grand nombre de couleurs politiques. Ses effets indésirables sont connus : il contraint l’électeur au « vote utile » au détriment du « vote de conviction » ; il produit de l’abstention et génère de la frustration. A l’inverse, le scrutin proportionnel intégral est le mieux à même de favoriser la délibération transpartisane, de garantir la juste représentation de toutes les sensibilités et d’obtenir, in fine, la parité de genre.

Il me paraît, par ailleurs, nécessaire d’assurer une respiration entre les deux pouvoirs élus au suffrage universel. Un constat s’impose : en faisant concorder le mandat présidentiel et le mandat législatif, le quinquennat a modifié le degré d’implication du président dans la vie politique du pays, en le conduisant à assurer de facto le rôle de chef de la majorité. Pour éviter une telle situation, on entend parfois des propositions de réformes telles que le retour au septennat ou le mandat non renouvelable. Il est douteux qu’elles aient les effets escomptés.

Il existe pourtant une réforme plus simple et plus sûre : faire en sorte que les élections législatives et l’élection présidentielle ne concordent plus dans le temps ; cela peut passer par une modification du calendrier électoral couplée à une limitation du droit de dissolution, ou bien par la réduction de la durée du mandat des députés. Cela aurait le mérite de permettre à l’Assemblée nationale d’avoir une légitimité déconnectée de l’élection présidentielle et plus en phase avec le rythme politique actuel.

Un autre chantier concerne le pouvoir judiciaire, si important en démocratie. Afin de renforcer l’autorité et la légitimité de ce pouvoir, il paraît nécessaire d’entreprendre – enfin – une réforme simple, retardée depuis trop d’années pour de mauvaises raisons, qui est celle de l’indépendance du parquet : les magistrats du parquet, qui ont l’immense devoir d’exercer l’action publique et de requérir au nom de la société, ne doivent plus être placés sous l’autorité du garde des sceaux ; leur nomination doit désormais s’opérer sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Enfin, angle mort des constituants de 1958, la question de l’environnement et de la finitude de la planète doit être intégrée dans la mécanique de nos institutions, bien au-delà de la seule Charte de l’environnement. Il est temps d’inscrire le principe de non-régression en matière environnementale dans notre Constitution et de créer un Défenseur de l’environnement sur le modèle du Défenseur des droits. Il conviendrait également de renforcer le processus législatif par un Conseil du temps long dont le rôle serait de faire valoir les intérêts des générations à venir.

A l’heure où nombre de nos concitoyens se détournent des urnes, où peu s’engagent pour la chose publique, où certains vont même jusqu’à douter de l’utilité de la forme démocratique de notre régime politique, si nous voulons éviter le choc autoritaire qui s’annonce à bas bruit, il nous faut organiser au plus tôt un choc démocratique.

Jérémie Iordanoff